vous propose une série d'articles pour vérifier la véracité de certains clichés du foot qui ont la peau dure. Mise à la mode par le Barça de Pep Guardiola, la possession du ballon est aujourd'hui un indicateur de performance décrié. Fact-checking statistique.
"Cette saison, pour être champion, j’ai besoin que mon équipe ait la possession. On peut perdre avec la possession, mais il est plus probable de perdre avec moins de possession. On doit faire ce en quoi l’on croit. Je crois en la possession." En octobre 2016 dans le Guardian, Pep Guardiola avait réitéré l'une des bases de son approche du jeu: avoir le ballon, à la fois pour se donner plus de possibilités de marquer et en priver l'adversaire. La réussite de son Barça a enfanté des disciples de la possession un peu partout en Europe, scindant le foot entre pro et anti (José Mourinho, Diego Simeone...). Le débat n'est pourtant pas apparu avec le passage du Catalan sur le banc. Dès les années 60, des études statistiques pionnières de l'Anglais Charles Reep préconisaient un jeu aussi direct que possible: il avait mesuré que deux buts sur neuf seulement étaient marqués après des mouvements de plus de trois passes.
L'avènement de Jürgen Klopp a bouleversé le statu quo moderne, consacrant la maîtrise des phases de transition offensive et défensive comme nouvelle condition cardinale du succès, sans pour autant effacer la problématique récurrente: la possession du ballon influe-t-elle vraiment sur les résultats? Encore faut-il s'entendre sur la définition du concept de "possession", compliquée par les nombreuses situations où le ballon se trouve dans un entre-deux flou (dans les airs, après un tir contré, après un tacle ou un duel...). Certains la comptabilisent en temps. Opta, dont la base de données sur les cinq grands championnats européens alimente cette étude, a tranché en faveur du nombre de passes effectuées. Quand une équipe a 58% de possession dans un match, cela représente donc le rapport entre les passes qu'elles a effectuées et celles de son adversaire.
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Toute exploration purement numérique exige des précautions logiques, pour ne pas tirer de conclusions à partir d'interprétations erronées. La possession seule ne suffira jamais à expliquer un résultat dans une causalité simpliste. Ce qui compte, c'est ce que les équipes et leurs joueurs en font. L'expression "tiki-taka" a d'ailleurs été employée la première fois par Javier Clemente pour tourner en dérision les formations stériles. "Je déteste l’idée de se passer le ballon pour se le passer, ce tiki-taka, évacue Pep Guardiola dans l'ouvrage Herr Pep. C’est de la merde parce que ça ne sert à rien. Il faut se passer le ballon avec une intention, avec l’intention de marquer un but à l’adversaire."
En Angleterre, Tony Pulis, qui a surperformé à Stoke avec un jeu ultra-direct, avait critiqué ses prédécesseurs à West Brom, qui jouaient selon lui du "tippy-tappy football, et non du football qui gagne". En étudiant un échantillon de matches suffisamment conséquent, tous les exemples et contre-exemples imaginables ressortiront. C'est la loi des grands nombres: en faisant quelque chose suffisamment de fois, tous les résultats possibles se produiront. La prise de hauteur interroge les tendances globales à plus long terme.
Y a-t-il un lien entre les résultats et la possession moyenne dans les cinq grands championnats européens cette saison?
L'observation à l'échelle d'une saison est assez claire: le nombre de points par match augmente en même temps que la possession. À partir de 1,8 point par match, toutes les équipes dépassent les 50% de possession moyenne. Mais ont-elles la possession parce qu'elles sont de meilleures équipes, ou sont-elles de meilleures équipes parce qu'elles ont la possession? Le choix stratégique de vouloir le ballon peut se heurter à un adversaire plus habile pour le conserver. "La possession est liée au succès, non pas en raison de stratégies spécifiques liées au score du match, mais en raison des niveaux de compétence relatifs des équipes", tranchent Chris Anderson et David Sally dans The Numbers Game.
Certains accepter de la céder dans le cadre d'une stratégie prédéfinie. Les conditions de jeu (météo, terrain...) et les circonstances de match (score, blessure, exclusion...) entrent également en ligne de compte. L'étude globale donne un panorama général mais dissimule la variété des situations singulières. La Lazio (2,4 points par match avec à peine plus de 50% de possession), l'Inter, Leipzig et Gladbach incarnent cette diversité, comme la sous-performance de Brighton (1 point par match avec 55% de possession).
Quel est le championnat le plus déséquilibré dans le jeu?
La Bundesliga est le championnat où la dispersion des possessions moyennes est la plus grande, entre les 68% du Bayern et les 36% d'Augsburg, mais seules deux autres équipes y dépassent les 55%: le Bayer Leverkusen et le Borussia Dortmund. En Premier League, elles sont six (Arsenal, Brighton, Chelsea, Leicester, Liverpool et Manchester City), et même neuf au-delà des 50%, soit plus qu'aucun autre championnat, l'indicateur d'une polarisation plus marquée.
À l'inverse, la Ligue 1 est la compétition la plus resserrée, surtout si l'on enlève le PSG et ses 65%. La possession est également très disputée en Liga, où seul le Barça dépasse les 60% de moyenne (et détient le record de la saison sur un match en Europe, 82% contre Grenade en janvier, pour la première de Quique Setién sur le banc blaugrana), et en Serie A, où aucune équipe n'atteint ce seuil.
Le nombre de matches déséquilibrés est-il en augmentation?
De 2003 à 2006, ses trois premières saisons d'existence, Opta n'a comptabilisé que 3 matches de Premier League dans lesquels une équipe atteignait les 70% de possession. Il y en a eu 67 la saison dernière. L'arrivée des entraîneurs continentaux outre-Manche a pu contribuer à orienter le jeu des grosses équipes vers un style plus posé, tandis que le fossé économique croissant a renforcé leur supériorité et leur maîtrise (sans toujours garantir un résultat final positif).
Depuis l'exercice 2013/14, la répartition des matches est toutefois stable dans les cinq grands championnats européens. Une équipe atteint 60% de possession dans presque un tiers des rencontres.
Une équipe gagne-t-elle plus qu'elle ne perd quand elle a la possession?
Cette saison, 1317 matches se sont disputés dans le cinq grands championnats européens. Les équipes ayant dominé la possession se sont imposées dans 39% des cas, pour 25% de nuls et 36% de défaites. L'écart entre victoires et revers est donc minime. Éviter la défaite ou ne pas gagner survient dans les mêmes proportions quand une équipe dépasse les 50% de possession, pratiquement deux fois sur trois.
Il y a quelques particularités nationales. Les équipes qui dominent s'imposent plus fréquemment en Bundesliga (44%) qu'ailleurs. En Ligue 1 et en Liga, en revanche, elles s'inclinent plus qu'elles ne triomphent, confirmant un lieu commun: dans un match, dominer n'est pas gagner. "Ils peuvent garder le ballon, on va en finale", avait lancé José Mourinho en 2010 après avoir éliminé le Barça en Ligue des champions. Six ans plus tard, l'entraîneur portugais développait, dans un forum d'entraîneurs à Nyon: "Dans la dernière décennie, la possession est devenue un mot très important dans notre monde. Mais maintenant, quelle est l’importance de la possession? Actuellement, les nombres nous montrent très, très clairement que l’on peut gagner des matches de football sans possession."
Depuis 2013, le ratio de victoires des équipes dépassant les 50% de possession est stable, autour des 40%, avec un creux à 31% en Liga la saison dernière et un pic à 49% en Serie A en 2017/18. Paradoxalement, c'est en Espagne, pays de la possession reine, qu'elle apporte le moins de succès (39% depuis 2013).
Voilà pour la situation globale. Mais existe-t-il un palier de possession qui garantirait davantage une victoire?
À l'échelle européenne, l'augmentation du ratio de succès avec la possession est linéaire, et la pente se raidit à partir de 60%. Les équipes atteignant au moins 65% de possession ont remporté pratiquement la moitié de leurs rencontres. Au-delà des 70%, il y a encore un quart de défaites. Tottenham en sait quelque chose, battu par Newcastle en août malgré 80% de possession. Le record, depuis 2013, appartient au Borussia Dortmund, avec une défaite à Francfort en mai 2016 malgré 84% de possession. Au total, depuis sept ans, il y a eu 190 défaites d'équipes à plus de 70% de possession, dont 61 en Premier League, championnat où c'est le plus fréquent. Si les clubs qui dominent gagnent bien plus fréquemment qu'ils ne s'inclinent, cela n'empêche pas les surprises régulières.
Une équipe est-elle plus dangereuse et plus solide dans le jeu quand elle a la possession?
"Le ballon nous organise et désorganise l'adversaire", professe Pep Guardiola. Selon lui, plus son équipe enchaîne les passes, plus elle finira par être dangereuse. Cela se retrouve-t-il dans les chiffres?
Globalement, il y a en effet une progression du nombre et de la dangerosité des occasions créées à mesure que la possession du ballon augmente. Toutes les formations marquant au moins 1,8 but par match, tirant 16 fois par match ou cadrant 5,5 tirs par match dépassent les 50% de possession moyenne. Mais toutes celles qui dominent n'atteignent pas ces marques, parfois par conservatisme sécuritaire avec le ballon. Le Barça compte ainsi en moyenne 7 tirs de moins par match que Manchester City, malgré une possession équivalente (autour de 65%).
D'autres équipes prouvent qu'une philosophie de jeu maîtrisée n'implique pas nécessairement une grosse possession pour marquer beaucoup. La Lazio (2,3 buts par match pour 50% de possession moyenne), Leipzig et l'Atalanta (20 tirs par match avec 58% de possession) ressortent particulièrement en termes de productivité offensive. Lyon, avec 56% de possession moyenne, crée un peu moins (1,35 xG/match) qu'Augsburg et ses 36% (1,36 xG/match). Monaco, 51% de possession, crée pratiquement autant (1,76 xG/match) que le Barça (1,79 xG/match).
Pour Pep Guardiola, les longues séquences de possession ont aussi des vertus préventives. "On essaie de garder le ballon de manière à ne pas se faire prendre défensivement", avait expliqué Kevin de Bruyne en janvier dernier. Plus une équipe aurait le ballon, moins elle serait en danger.
La tendance globale confirme cette idée, mais une étude plus détaillée révèle de nouveau les disparités et l'absence de garanties. Les deux équipes qui ont le moins le ballon d'Europe, Augsburg et Newcastle, ne sont pas aussi imperméables: l'équipe de Tomás Koubek encaisse 2 buts par match, contre 1,4 pour les Magpies de Florian Lejeune. La pire défense d'Europe, le Werder Brême (2,29 buts encaissés/match), a 49% de possession moyenne. Il y a d'ailleurs un peu de tout entre 42 et 50% de possession, comme l'illustre le décalage entre Lecce (19 tirs subis par match) et Getafe (7,4 tirs subis par match) malgré une possession autour de 43%, et entre Paderborn (2,2 buts encaissés/match avec 45% de possession) et Reims (0,75 but encaissé/match avec 48%). Les Rémois voguent d'ailleurs dans les mêmes eaux que l'Atlético (0,78 but encaissé/match, 48% possession), l'une des références défensives du continent depuis une décennie.
À noter la solidité remarquable de Getafe et Sheffield Utd sans ballon (0,9 but encaissé/match avec 43% de possession environ), et celle de Liverpool (0,72 but encaissé/match) et ses 68% de possession. Quant à la dangerosité des frappes concédées à chaque match, l'Atlético reste leader (0,85 xG contre/match), mais le PSG et ses 65% de possession n'est pas loin (0,86 xG contre/match). Angers, 45% de possession, concède 1 xG/match environ, soit autant que Manchester City et sa large domination.
À l'échelle globale, plus une équipe a le ballon et plus elle marque et se crée d'occasions. Mais qu'en est-il de la qualité de ces occasions? "On s’aperçoit aujourd’hui que plus vous gardez le ballon, moins vous avez de chances de marquer", notait Gérard Houllier lors de la Convention annuelle du football professionnel en mai 2018. L'ancien coach des Reds soulignait dans le même temps l'importance des phases de transition, mais cela signifierait que les Expected goals, qui mesurent la qualité des situations de frappe créées, devraient baisser à mesure que la possession augmente.
La corrélation est bien moins évidente. Alavés, septième d'Europe en xG/tir (0,137), a 42% de possession moyenne. Rien d'illogique: il est possible de se créer de très bonnes situations de frappe en ayant peu le ballon, sur des contres rondement menés face à des équipes exposées par exemple. Dans le même temps, la position très élevée du PSG (0,167 xG/tir) illustre à la fois un modèle optimisé pour créer des situations de frappe idéales, notamment à partir de centres au sol devant le but, et sa supériorité écrasante en L1, qui lui facilite les choses.
Les données sont encore plus dispersées sur le volet défensif. L'Atlético est (encore) leader, avec 0,08 xG par tir concédé, devant Parme. Manchester City, le Bayer Leverkusen et le Bayern Munich, à la possession moyenne supérieure à 60%, concèdent des tirs relativement dangereux, conséquence des espaces offerts à la perte de balle.
Qu'apporte la possession dans le rapport de force avec l'adversaire?
Une équipe qui a plus de 50% de possession marque en moyenne 0,2 but de plus par match que l'adversaire (pratiquement 8 buts à l'échelle d'une saison), et totalise 3,7 tirs, 1,1 tir cadré et 0,4 xG de plus. Les écarts grandissent avec la possession:
- au-dessus de 60% de possession, +0,5 but/match, +6,5 tirs, +2 tirs cadrés, +0,72 xG
- au-dessus de 70% de possession, +1,1 but/match, +9,5 tirs, +3 tirs cadrés, +1,28 xG
- au-dessus de 60% de possession, +0,5 but/match, +6,5 tirs, +2 tirs cadrés, +0,72 xG
- au-dessus de 70% de possession, +1,1 but/match, +9,5 tirs, +3 tirs cadrés, +1,28 xG
Là encore, la qualité de l'équipe qui domine est un déterminant plus fiable. D'ailleurs, sur les 89 équipes ayant eu au moins 70% de possession cette saison: 8 ont moins tiré que leur adversaire, soit 9% (1/11); 18 ont totalisé moins de tirs cadrés, soit 20% (1/5); 12 ont généré moins de xG, soit 13% (1/8).
Quelles sont les équipes les plus productives en possession et les plus solides sans ballon?
Malgré les tendances à l'échelle globale associant possession du ballon, succès, dangerosité offensive et solidité défensive, l'étude au niveau micro a révélé les nombreuses exceptions, confirmant la multiplicité des stratégies viables. Pourquoi certaines équipes gagnent en ayant la possession, alors que d'autres non? Pourquoi certaines savent-elles s'en passer? Il y a autant de réponses que de clubs, de même que les objectifs varient: réussir sa saison ne signifie pas la même chose à Paris ou à Amiens.
"Le haut niveau, c’est l’efficacité", martèle Didier Deschamps. Cela passe par l'optimisation de ses ressources, et la possession du ballon en est une. Quelles équipes sont les plus productives en buts, tirs et Expected Goals? Lesquelles maximisent leur temps avec le ballon pour mettre l'adversaire en difficulté? Opta mesurant la possession par l'opposition du nombre de passes effectuées par les deux équipes, cela peut s'évaluer par le ratio entre passes et buts, tirs et Expected Goals.
L'Atalanta (1 but toutes les 187 passes), la Lazio et Augsburg sont les formations qui rentabilisent le plus leurs temps de possession, tandis que le Celta Vigo, Norwich et la SPAL peinent le plus à faire des différences, avec plus de 500 passes effectuées en moyenne pour un but marqué.
Meilleure attaque de Serie A, l'Atalanta truste également le podium pour les tirs, tirs cadrés et Expected Goals, tandis que l'on retrouve en bas de classement des grosses écuries joueuses, comme le Barça et Arsenal, dans les mêmes eaux qu'Amiens notamment, pour des raisons différentes (approche patience/difficulté à créer le danger).
Pour José Mourinho, "on peut être en contrôle quand on n'a pas le ballon et en difficulté quand on a le ballon". Quelles équipes s'en sortent le mieux dans cette physionomie? Lesquelles concèdent le moins de situations quand elles n'ont pas le ballon?
Le Stade de Reims est particulièrement solide: ses adversaires effectuent en moyenne près de 600 passes pour un but marqué. De son côté, Angers est l'équipe qui force ses rivaux à réaliser le plus de transmissions avant un tir. L'Atlético et le Real sont également systématiquement parmi les mieux classés, comme le surprenant promu de Premier League, Sheffield Utd. De quoi apporter une perspective complémentaire au simple classement des buts encaissés et des clean sheets, en insistant sur l'efficacité d'une équipe quand elle n'a pas le ballon.
Au bout de cette exploration, le message est clair: "Le football est divers, personne n’en détient la vérité", comme l'exprime Diego Simeone. Il y a une certaine logique dans la domination offensive et défensive des équipes qui ont la possession, puisque ce sont souvent celles qui sont dotées des meilleurs joueurs. Ce qui ne signifie pas qu'elles ne chutent pas, parfois, se heurtant à des plans de jeu clairs et bien menés. Ce qui ne signifie pas, non plus, que seules les formations les plus riches ont les moyens d'avoir le ballon, comme l'illustre l'exemple Sassuolo en Italie. Jürgen Klopp mettait tout le monde d'accord dans France Football en août 2018: "L’important, c’est de rester fidèle à votre identité, au schéma de jeu que vous voulez développer, et d’en tirer le maximum. C’est comme ça que l’on gagne."
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