domingo, 15 de abril de 2018

DOSSIER. La violence, l’autre face du sport



Lors de la saison sportive 2016-2017, la police nationale a recensé 752 interpellations tous sports confondus.



par Audrey Mercurin

Le sport porte en lui un certain nombre de valeurs, mais il peut s’apparenter aussi à un défouloir, empreint d’agressivité et de violence, physique comme psychique.
Derrière le côté vertueux du sport, se cache une face moins reluisante, où l’éthique sportive est reléguée au second plan. Parmi les dérives, toutes ces formes de violences, physiques ou morales, individuelles ou collectives, des plus bénignes aux plus graves, et trop souvent tabou. Des faits qui se multiplient sur le terrain comme dans les tribunes et les vestiaires. De l’emportement insensé aux abus sexuels, en passant par le hooliganisme et le racisme.
Les terrains de sport ne sont donc pas épargnés. « Le sport est une activité humaine comme une autre, avec en elle toutes les déviances humaines, estime Julian Jappert,directeur du think thank Sport et Citoyenneté. Il est le reflet de la société. » De près ou de loin, tous les sports sont concernés, professionnels comme amateurs. Mais « le football draine, de loin, le plus de violences », note la police nationale, qui a créé dans ses rangs, en 2009, une division nationale de lutte contre le hooliganisme. Ses chiffres sont éloquents. Elle a recensé, lors de la saison 2016-2017, 752 interpellations tous sports confondus, dont 567 sur les matches de Ligue 1 et Ligue 2. Au cours de cette saison, 280 individus avaient été interdits de stade.

Du racisme au harcèlement sexuel

Les exemples ne manquent pas. Il y a deux semaines, la joueuse de tennis danoise Caroline Wozniacki, n°2 mondiale, dénonçait l’attitude du public durant sa rencontre avec la Portoricaine Monica Puig, à Miami. « Des gens dans les tribunes s’en sont pris à ma famille, ils ont menacé de mort mon père et ma mère, m’ont adressé des insultes que je ne peux même pas répéter », révélait-elle le lendemain sur les réseaux sociaux.
Pas plus tard que la semaine dernière, c’est l’équipe de France de football qui était visée par des cris racistes lors du match Russie-France à Saint-Pétersbourg. Et la semaine précédente, les événements qui ont émaillé Lille-Montpellier en disaient long sur le sujet. Plusieurs supporters avaient forcé les barrages de la sécurité pour pénétrer sur la pelouse, certains allant même jusqu’à frapper des joueurs.
Le dernier dossier brûlant en date ébranle quant à lui le monde de l’athlétisme tricolore. Selon des révélations du Monde, deux entraîneurs seraient soupçonnés de violences sexuelles. L’une des victimes, Emma Oudiou, spécialiste du 3 000 m steeple, témoignait lundi sur France Info, après avoir déposé plainte. Elle dénonçait des gestes « extrêmement déplacés » que l’entraîneur aurait eu à son égard en 2014. « Des mains aux fesses, des bisous, des caresses. Il a même été un peu plus loin, il s’est un peu collé à moi. »
Des faits présumés qui ne sont pas sans rappeler l’affaire Larry Nassar, l’ancien médecin de l’équipe américaine de gymnastique condamné en janvier dernier à plus de 40 ans de prison.

Un devoir d’exemplarité

Une brutalité qui remonte aux prémices du sport. « Dès son origine, le sport a été un substitut à la violence, retrace Julian Jappert. Au niveau des pratiquants et de ceux qui le regardent. Comme un moyen d’évacuer l’agressivité. Dans sa forme antique, cela peut se comparer à des comportements guerriers, de suprématie. »
Le problème : les sportifs sont érigés en modèle de société. « Qu’ils le veuillent ou non, ils sont des exemples pour les plus jeunes », poursuit-il. Et ont, en conséquence, un devoir d’exemplarité. La réponse les concernant se trouve, selon lui, « plus dans la prévention que dans la sanction. »
D’autres n’hésitent pas à aller plus loin dans l’analyse, comparant le fanatisme sportif au fanatisme religieux. « Il y a une structure identique dans les pulsions totalitaires et les pulsions de certains supporters, soulignait Daniel Cohn Bendit, samedi dernier, sur le plateau d’On n’est pas couchés. L’auteur de « Sous les crampons… La plage », aux parfums de foot et de politique, affirme qu’il y a « une radicalité de l’identification nationale, et même locale, dans le sport. Et dans la volonté d’identification, qu’elle soit religieuse ou sportive, il y a le danger de la haine et de l’exclusion de l’autre. »
Depuis 2016, les supporters sont reconnus dans le code du sport comme acteurs à part entière, avec des droits et des devoirs. Les clubs, eux, sont condamnés s’ils laissent entrer des ultras dans leurs stades.


« Le sport n’entraîne pas la violence »
Peut-on considérer le sport comme violent ?
Nous sommes, au contraire, dans un mouvement de pacification général des mœurs, sur le terrain comme dans les tribunes. Pour quelques sports, il se passe des choses graves dans les tribunes. Le football, dans les années 80, on parlait de hooliganisme. Des ultras abîmés se cognaient sur la tête à la sortie des matches. Cela a donné lieu à des morts. Mais le phénomène a aujourd’hui été combattu par les fédérations sportives, il est en voie de grande régression. Les ultras sont en passe d’être maîtrisés.
Et puis, le sport ne doit pas être assimilé au football. Il vient d’y avoir les JO d’hiver, personne n’a parlé de violence. Il n’y a pas de violence parmi la litanie des sports pratiqués : le cyclisme, le tennis, la natation… Même les sports de combat ne sont pas violents. La boxe l’est par nature, mais elle est très réglementée. Seul en hockey sur glace les joueurs ont l’habitude de se cogner, mais c’est un rituel. On ne peut pas généraliser « sport = violence ».
Les insultes sont minimes et limitées à quelques petits cercles d’ultras éradiqués des stades. Ce n’est pas du tout l’expression d’une violence généralisée. Dans les manifestations politiques, vous trouvez toujours une petite minorité de gens qui viennent pour casser, mais ça ne veut pas dire que la politique c’est violent. Il ne faut pas assimiler les deux. Le sport n’entraîne pas la violence.
Pourtant, des faits sont formels…
Il y a effectivement de la violence verbale, du racisme. Comme il y a de l’agressivité entre les supporters de deux clans. Mais l’agressivité, qui est omniprésente et naturelle, ce n’est pas la violence. Elle est dans les rapports humains. Dès que deux équipes s’affrontent, les supporters s’insultent. Il y a une sorte d’agressivité de jeu, mais ça se charrie. L’agressivité se traduit très rarement par de la violence physique.C’est pour cela que les petits débordements, on en parle d’autant plus. L’exemple de Lille, l’autre jour, est remarquable parce qu’isolé. Cela fait des années qu’il n’y avait pas eu un événement comme ça en Ligue 1. La sensibilité que nous avons à l’égard de ces phénomènes est le signe qu’ils deviennent de plus en plus intolérables, et ils sont en diminution.
De la même manière, les arbitres ont des consignes extrêmement sévères. La violence n’est plus tolérée sur le terrain. Un sportif est un humain comme un autre. Quelqu’un l’insulte, il est fou de rage. Sauf que là, justement, il sait que ça ne peut pas dégénérer ! Il doit prendre sur lui alors qu’il reçoit des pluies d’insultes en permanence ! Et, en général, il le fait car il sait que la sanction sera lourde et qu’il va être exclu pour plusieurs matches, voire plus. Les sportifs jouent leur carrière sur le terrain ! Ces débordements sont très peu tolérés et très peu pratiqués. C’est arrivé, Zidane, Cantona… Et il y en aura toujours. Mais globalement, c’est très rare.

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