C'est une menace qu'on savait diffuse, comme une épée de Damoclès, ou un sombre présage. Une crise sanitaire n'arrive jamais seule et porte souvent avec elle les germes d'une saleté de crise économique. La Ligue de football professionnel (LFP) le savait : le football français ne sera pas épargné et c'est Canal+ qui a endossé le rôle du porteur de malheur, en dévoilant les premiers symptômes de la chose. La chaîne cryptée ne veut plus payer les 110 millions d'euros de droits TV - soit près du cinquième des 548 millions d'euros qu'elle verse annuellement à la Ligue - en vertu des contrats qui lient le groupe audiovisuel à la LFP, sur la période 2016-2020.
Canal brouillé
C'est L'Équipe qui a révélé ce week-end la décision de Canal, en relayant les propos de Maxime Saada, le président de la chaîne : « Il n'est pas envisageable que nous payions les échéances à venir, alors même qu'en raison de la suspension du championnat de Ligue 1, aucun match ne peut être joué et diffusé sur nos antennes... Cette suspension de paiement s'inscrit dans un contexte où la crise sanitaire affecte durement la quasi-totalité des activités de notre groupe. Nos activités de télévision payante en France sont fortement affectées par la fermeture d'une part importante de nos canaux de vente et par l'affaiblissement de l'attractivité de nos offres sport. Nos revenus publicitaires sont en chute libre. [...] Nos activités de télévision à l'international et Studio Canal sont également sévèrement touchées. Nous sommes donc dans l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour atténuer l'impact financier de cette crise. »
Difficile de prétendre le contraire : Canal+ France, miné par une concurrence accrue dans la course aux droits TV sportifs et par celle des services de vidéo à la demande type Netflix et Amazon Prime dans le domaine des fictions audiovisuelles, est notoirement dans le dur. En France métropolitaine, le groupe a essuyé douze années consécutives de baisse d'abonnés. Au total, il aurait perdu près de 2 millions de fidèles sur cette période, rassemblant 4,5 millions d'abonnés au quatrième trimestre 2019, selon des estimations relayées par La Tribune début février. Pour stopper sa chute, « la 4 » avait opté pour une stratégie résolument offensive ces derniers mois : la chaîne avait racheté à beIN 76 matchs de Ligue 1 sur la période 2020-2024 moyennant 330 millions d'euros par saison, puis à SFR les droits de la Premier League, pour 115 millions d'euros par an, jusqu'en 2022. Avant de carrément récupérer les droits de diffusion des affiches les plus attrayantes de la C1, de 2021 à 2024. Des investissements aussi massifs que risqués pour le groupe, qui n'a manifestement pas les épaules pour tenir ses engagements initiaux à la Ligue, alors que la chaîne doit payer les pots cassés d'une crise que personne n'avait vu venir.
En attendant beIN
Là où la position du groupe Canal est plus critiquable, c'est qu'il refuserait de verser l'argent de matchs déjà joués et diffusés, intégrés à la tranche des 110 millions d'euros qui devaient initialement être versés le 5 avril. « Nous ne comprenons pas cette position de Canal+, expliquait ainsi la LFP à L'Équipe. La Ligue a livré 28 matchs sur 38 (par journée, N.D.L.R) soit 73,6 % du produit. Canal+, à date, n'a payé que 67 % de tout ce qui a été diffusé, ce qui représente une perte de 35 millions d'euros hors taxes, soit 43 millions d'euros TTC. »L'équation qui se pose à la Ligue se complexifie encore plus, si on ajoute que personne ne sait quelle sera la position de beIN Sports, l'autre ayant-droit de la diffusion des matchs de la Ligue 1. Ce dernier doit théoriquement régler une ardoise de 42 millions d'euros le 5 avril, dont 15 correspondent à des matchs effectivement disputés. Même si la Ligue, elle, ne s'attend sûrement pas à davantage de magnanimité de la part de la chaîne qatarie. Pressurisé financièrement, beIN n'aurait peut-être pas survécu à la largesse de ses investissements passés sans les recapitalisations massives de Doha, dont la dernière, en décembre 2018, était estimée à 156 millions d'euros par Libération.
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