segunda-feira, 6 de abril de 2020

CARLO ANCELOTTI ET LA RÉVOLUTION QUI VIENT

Le football en crise est un football qui a plus que jamais besoin de spectacle sans pourtant en avoir les moyens. Il donne donc sa chance à des idées nouvelles (et offensives) pour désarmer les vieilles lanternes et continuer tant bien que mal à fasciner le monde.


Le sourcil de Carlo Ancelotti a encore frappé. La semaine dernière, en lisant le Corriere dello Sport, on a même cru le voir remuer. « L'économie va changer à tous les niveaux, prophétisait alors l'ancien entraîneur du PSG dans les colonnes du quotidien italien. Les droits TV auront une valeur moindre, les joueurs et entraîneurs gagneront beaucoup moins, les billets coûteront moins cher parce que les gens auront moins d'argent. Préparons-nous à une contraction générale.  » Ainsi l’entraîneur le plus aimé du monde livrait à ses admirateurs un avis clair dans sa forme, mais sombre dans son fond. Tout serait bientôt plus compliqué pour nous. Dans le monde d’après Covid, le football perdra de sa puissance et de son indolence. Les temps seront durs pour les idéalistes, nous dit Ancelotti. La crise du football est à venir et, semblait nous dire le bon Carlo, autant s’y préparer tout de suite. Mais de quoi parle Carlo, au juste ? Du football ou de l’industrie du football ? De l’industrie. Et il a sans doute raison sur ce point. Mais qu’en sera-t-il du football lui-même ? Est-il lui aussi destiné à l’effondrement et à la morosité ? L’histoire du jeu, en réalité, semble plutôt dire contraire.

La grande dépression


Revenons en 2008. L’Espagne traverse la plus grave crise économique de son histoire récente. En quelques mois, conjonction de plusieurs facteurs sur lesquels il serait trop long de revenir ici, le chômage explose à 27% de la population (dont 50% de jeunes), et le PIB espagnol tombe durablement en récession dès 2009 (-3,6%) jusqu’en 2013 inclus (-1,7%). Les clubs de football espagnols paient alors les années précédentes vécues à crédit. Dix-neuf des 42 clubs professionnels (dont la Real Sociedad, le Betis et le Rayo Vallecano) sont placés en redressement judiciaire et doivent à eux seuls plus de 700 millions d’euros d’impayés à l’administration fiscale. D’autres encore, comme Villarreal, diminuent drastiquement leur budget de 60 à 15 millions d’euros tout en refusant volontairement toute aide publique afin de purifier leurs bilans et faire évoluer leur modèle vers l’auto-suffisance économique. Pas une seule famille espagnole n’est épargnée par la violence de cette crise économique, pas un seul aficionado ne peut se soustraire directement ou indirectement aux restrictions budgétaires du football espagnol. Le panorama est donc, pour quiconque a connu l’Espagne de cette époque, franchement déprimant.

La grande extase

Et pourtant, à l’exact moment où l’économie du football espagnol était sur le point de sombrer, les résultats de ses équipes premières et de ses centres de formation semblaient prendre toute la lumière. Et phénomène comparable au taux de remplissage des théâtres de Broadway pendant la grande dépression de 1929, la fréquentation des stades n’a pas diminué entre 2009 et 2013. Au contraire, elle s’est même accélérée (pour diminuer à nouveau au sortir de la crise). C’est que 2008, c’est aussi le début de l’âge d’or du football espagnol. L’énumération des titres suffit à en prendre la mesure. Entre 2008 et 2018, une vingtaine de titres majeurs ont été obtenus par les Espagnols, dont une Coupe du monde, deux Euros, six Ligue des champions (dont une finale 100% espagnole en 2014), cinq Ligue Europa, deux Euro U21, trois Euro U19 et un Euro U17. Et ce qui est impressionnant sur le plan quantitatif l’est aussi sur le plan de l’héritage qualitatif. Le football mondial a été bouleversé par la révolution du jeu espagnol, admiré, imité et commercialisé depuis dans le monde entier. 2006 (et cette interminable finale de mondial France-Italie) avait enkysté le football dans des conceptions tactiques conservatrices. Le Barça de Guardiola et les sélections de Del Bosque (et Gines Melendez, responsable de la formation) ont fait exploser les préjugés accumulés jusque-là pour offrir au football-spectacle une nouvelle jeunesse. En réinventant le jeu, l’Espagne a revivifié le football mondial. Le tout, en pleine crise économique. Peut-être donc qu’on s’était trompé. Peut-être que le problème du football d’avant, c’est qu’il avait beaucoup trop d’argent pour prêter attention aux nouvelles idées.

Le spectacle peut (re)commencer

À vrai dire, c’est au moment où les bourses se vident que les têtes se remplissent de désirs nouveaux. C’est parce que Villarreal ne pouvait plus recruter de nouveau Riquelme ou Diego Forlán qu’il s’est tourné vers son centre de formation. C’est parce que Laporta avait failli être renvoyé de son poste de président du Barça qu’il a nommé Guardiola, un homme de la maison aux idées bien arrêtées. Curieusement, c’est presque la même chose qui était arrivée au football du FC Nantes qui recruta un cafetier espagnol de Noyen-sur-Sarthe en 1960 nommé José Arribas pour reprendre une équipe professionnelle mal en point et inventer par la même occasion l’école nantaise. Si on avait le temps, on parlerait aussi du jeu du Stade de Reims ou de celui du Racing (post-Occupation), des Hongrois de Sebes (en pleine guerre froide), du football total hollandais (post-choc pétrolier), des Verts de Herbin (en pleine crise industrielle). À chaque fois, la même idée reviendra : le football est un spectacle qui vise à l’émancipation des hommes qui le regardent et le pratiquent. Le football en crise est donc un football qui a encore plus besoin de spectacle sans pourtant en avoir les moyens. Il donne alors souvent sa chance à des idées nouvelles (et offensives) pour désarmer les vieilles lanternes et continuer - tant bien que mal - à fasciner le monde. La révolution qui vient n’est donc peut-être pas celle que l'on croit. Elle appartiendra à ceux qui auront les poches vides et les sourcils agiles.

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